L’islam des générations nées en Europe : intervention de nouvelles religiosités entre identité et littéralisme
par Bernard GODARD, consultant au bureau central des cultes, Ministère de l’Intérieur, sur les questions concernant l’islam
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La formule « jeunes nés en Europe » était encore une formule qui faisait sens il y a une dizaine d’années. On peut se demander si elle a une pertinence aujourd’hui. D’abord parce que les « jeunes » issus de l’immigration peuvent-ils être qualifiés par ce terme, tant plusieurs générations ont mis de l’écart avec l’immigration première, des parents ou des grands-parents ? Ensuite les enfants issus de mariages dits « mixtes » sont plus nombreux qu’on croit. Et enfin le rôle des convertis, que l’on réduit à un modèles simplificateur parfois est important Il n’y a pas d’idéal type entre le converti d’origine haïtienne ou guadeloupéenne ou celui qui est d’origine camerounaise ou ivoirienne, entre le ch’ti et le marseillais d’origine italienne.
Bien plus, leurs trajectoires est différente selon qu’ils viennent d’un milieu croyant catholique ou évangélique, voire même juif ou de familles complètement agnostiques. Mais c’est justement cette variété qui les pousse bien souvent vers la quête d’une religion rassembleuse à leurs yeux. Et l’islam pour beaucoup semble répondre à ce besoin.
Comme le signale Olivier Roy dans La sainte ignorance, cette recherche de la pureté d’un message authentique, croient-ils, serait vidé de scories accumulées depuis des siècles et permettraient aux jeunes qui vivent en proximité dans les cités de se retrouver. Elle mène aussi au fondamentalisme le plus extrême. Toujours selon Roy, une religion sans culture est desséchée et ne fait plus sens. Ce phénomène a pris une ampleur considérable. La doxa qui porte tout ce mouvement, le salafisme, nous interroge sur la limite des analyses classiques. Les catégorisations offertes sur le salafisme, nous le verront ont leurs limites.
Mais avant que cette « vague » de littéralisme séduise tant, les « jeunes » musulmans avaient déjà opéré à partir des années 1990 une rupture avec un islam qu’ils percevaient comme traditionnel et trop détaché de l’environnement dans lequel ils évoluaient. Des leaders tels que Tarek Ramadan leur offrait la possibilité de relever la tête face à leur condition de fils d’ouvrier immigré en témoignant fièrement de leur religion. Au fil du temps, ce qu’on peut définir comme la mouvance « frériste » prend en main le magistère proprement théologique alors que les « jeunes » se préoccupent, eux, d’investir tout un champ culturel et social, délaissant aux ancien ou aux « frères » les questions du « culte ». Cet investissement dans « l’identité musulmane » n’a jamais cessé depuis. Il est aujourd’hui le propre de deux générations qui se succèdent, des jeunes et des moins jeunes. La première d’entre elles privilégie un engagement citoyen, occupant toutes les sphères de la « confession » musulmane, poussant une identité reconstruite jusqu’à l’extrême comme le démontre, on le verra, le halal ou la finance islamique. La deuxième génération, elle, d’inspiration salafiste, reprend depuis peu, cet investissement dans le social, voire même le politique tout en n’abandonnant pas sa religiosité propre dont elle ne laisse la gestion ni aux anciens, ni aux « frères ».
Aujourd’hui, identité et littéralisme tentent de trouver une voie commune. Mais la voie est étroite et mal balisée. Les expressions exacerbées d’une identité perçue comme bafouée peut rencontrer les mythes les plus noirs, en particulier apocalyptiques, de la religion musulmane. Et cela mène au djihadisme.
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